Les préraphaélites

Cette fois-ci n'est pas coutume, je ne présenterai pas de fan-artiste, mais un courant artistique du milieu du XIXème siècle, né en Angleterre : le courant préraphaélite.

-Ophelia, John Everett Millais-

Né de la réunion enthousiaste de plusieurs jeunes artistes en réaction contre l'académisme victorien, le mouvement est une référence au célèbre peintre Raphaël. Le but était de retrouver la pureté originelle des peintres qui lui étaient prédécesseurs. Ainsi, ils privilégiaient le réalisme, le sens du détail et les couleurs vives. Leurs sujets de prédilection sont les thèmes bibliques, le Moyen Âge, la littérature et la poésie (Shakespeare, Keats...). Il signaient parfois leurs œuvres des initiales PRB pour Pre-Raphaelite Brotherhood, ce qui provoquait alors la colère d'une Angleterre bien pensante imaginant derrière ces trois lettres un sens caché, blasphématoire ou mystique.

Pre-Raphaelite Brotherhood

Comment parler d'un mouvement sans parler des hommes ? Les fondateurs sont les peintres John Everett Millais (dont le tableau le plus connu est Ophelia, représentant la héroïne shakespearienne Ophélie, maîtresse d'Hamlet, au moment de son suicide.), William Holman Hunt, James Collinson, le poète et peintre Dante Gabriel Rosetti (l'un des plus connus du mouvement), le sculpteur Thomas Woolner et les critiques d'art William Michael Rosetti et Frederick Georges Stephens.

-King Arthur, Julia Margaret Cameron-

Peu à peu, la confrérie perd des membres et d'autres peintres viennent y adhérer tels que Edward Burne-Jones ou William Morris. En 1854, le mouvement s'éteint peu à peu, chaque peintre prenant un chemin différent des autres, il n'empêche que pendant l'Exposition Universelle de 1855, le tout-Paris est enchanté et conquis par leurs oeuvres. Beaucoup de ces peintres furent photographiés par Julia Margaret Cameron, photographe avant-gardiste qui s'inspira énormément du mouvement.

Ce mouvement, bien que de courte durée eut une grande influence sur les mouvements artistiques du XIX^e siècle, particulièrement l'art nouveau et le symbolisme.

Du talent et des hommes

Chaque artiste préraphaélite a apporté sa pierre à l'édifice, je me fais une joie de vous présenter ici les oeuvres que je préfère... ^^

John Everett Millais (1829-1896)

Son grand talent lui a valu une place dans l'école de la Royal academy a l'age précoce de onze ans. Il s'y lia d'amitié avec William Holman Hunt et Dante Gabriel Rossetti. Après la mort de Frederic Leighton, président de l'Académie Royale, en 1896 il fut élu president de l'Académie mais il est mort la même année d'un cancer de la gorge. La première peinture que je donne à voir est Lorenzo and Isabella.

Illustrant un poème de Keats (Isabella ou The Pot of Basil), cette peinture est le premier tableau préraphaélite de Millais (sur lequel apparaissent déjà les initiales PRB.) L'artiste avait alors 19 ans. Le poème de Keats s'inspire d'un texte de Boccace (14ème siècle) : Lorenzo et Isabella étaient profondément amoureux l'un de l'autre. Isabella pour sa part était la fille d'un riche marchant florentin de qui Lorenzo était l'apprenti. Un jour, les frères d'Isabella découvrent les sentiments de leur soeur pour Lorenzo, ils décident de le tuer. Ils l'attirent dans un bois et le tuent. Dans une vision, Isabella voit alors l'endroit où son amant a été tué. Elle se rend sur place, trouve sa tombe et le déterre. Puis, après avoir tranché la tête de Lorenzo et ramené à la maison, elle la cacha dans un pot de fleurs dans lequel elle planta du basilic. Malheureusement, ses frères découvrirent son macabre secret et, plein de culpabilité, volèrent le pot et s'enfuirent de Florence. Isabella dépérit et mourut.

L'oeuvre en elle-même recelle de nombreux indices sur la fin de cette histoire, notamment un pot d'herbes qui se trouve dans le fond du tableau. Nous pouvons voir également des signes anonciateurs de la violence et de la tragédie qui vont bientôt s'installer, comme l'un des frère en train de s'acharner sur ses noix, tout en donnant un coup de pied au chien d'Isabella. On peut remarquer également que l'un des frères qui est en train de boire un verre de verre a pris les traits de Rosetti, l'ami de Millais.

Un tableau qui me tient tout particulièrement à coeur et qui, je crois bien doit être mon préféré de tout le mouvement préraphaélite est celui qui suit : Le Christ dans la maison de ses parents, connu aussi sous le titre : Le Christ Charpentier.

Cette peinture à elle-seule fut l'objet d'un véritable scandale en Angleterre. Millais représentait dans son tableau le Christ enfant, dans l'établi de son père. Misant sur le symbolisme, l'auteur fait se blesser l'enfant. Le sang sur sa main tombe goutte à goutte sur son pied : c'est par là le symbole anonciateur de la crucifiction et du sacrifice personnel... Mais les anglais de l'époque ont vu cette peinture d'un très mauvais oeil. Tout d'abord, pour une des premières fois, un peintre osait représenter le Christ avec des cheveux roux (d'ordinaire, un symbole préféré pour représenter le Diable.) De plus, le réalisme de la toile a énormément dérangé dans le sens où l'on pouvait voir un Christ "pleurnichard" (je cite un critique d'art) et un établi d'une saleté répugnante. Alors, pourquoi, vous demandez-vous, est-ce que je peus aimer cette peinture ? Le Christ, au centre de la toile attire les regards du spectateur à lui, non pas pour ses soi-disantes larmes, mais pour son calme. Sa mère, agenouillée devant lui vient pour le consoler, mais quand on y regarde de plus près : n'est-ce pas lui qui console sa mère ?

William Holman Hunt (1827-1910)

Lorsqu'il entre à l'école de la Royal academy, après un premier échec, Hunt se rebelle contre l'influence de son fondateur Sir Joshua Reynolds. Il se lie d'amitié avec Rosetti et Millais et fonde le mouvement. ils cherchent à revitaliser l'art en insistant sur l'observation détaillée du monde naturel, dans la dévotion de la vérité.

La première oeuvre de Hunt que je vous propose est intitulée Claudio and Isabella. Hunt s'inspire ici d'une pièce de Shakespeare : Mesure pour mesure. Nous sommes à l'acte III, scène 1. Isabella, jeune religieuse vient rendre visite à son frère Claudio en prison. Elle lui dit que sa requête envers Angelo pour le libérer a raté. Claudio, désespéré, se tourne vers sa soeur et lui demande si elle ne pourrait pas échanger sa virginité contre le vie de son frère... Isabella explique alors à son frère qu'une vie honteuse est plus regrettable que la mort elle-même. Le peintre oppose ainsi les deux personnages. La pureté de la robe religieuse d'Isabella s'oppose au rouge des vêtements de Claudio. Le peintre a privilégié, de plus, la position des personnages, confrontant la droiture de la religieuse à la position tordue de son frère dénotant de son esprit dérangé.

Je tiens tout particulièrement à présenter une oeuvre que j'adore : Shadow of Death. Hunt s'est inspiré de la Bible. On voit ici Jésus dans son atelier de chapentier et là encore, tout comme pour le tableau de Millais au-dessus, le symbolisme utilisé dans cette toile est foisonnant. Comme le titre l'indique, l'ombre de Jésus prend toute son importance. On la voit se projeter sur le mur, telle une vision prémonitoire de l'avenir. La crucifiction apparait comme une évidence, le Christ lui-même se trouvant dans une position béate, sa tête est auréolée grace à une fenêtre dans le fond du décor, surmontée par l'étoile de Bethléem. Est-ce Marie qui se trouve agenouillée ? Elle tourne le dos au spectateur et découvre l'ombre projetée de Jésus. Tandis que son fils regarde vers le ciel, vers Dieu, vers son avenir, son sacrifice prochain, Marie, plus pragmatique, se rend compte du destin de son fils...

James Collinson (1825-1881)

Collinson était un chrétien attiré par les aspects du préraphaélisme liés à la dévotion et à l'église. Converti au catholicisme, Collinson revint à la foi anglicane pour épouser Christina Rossetti (la soeur de Dante Gabriel), mais sa conscience le poussa à retourner au catholicisme et à rompre son engagement matrimonial. L'oeuvre que je présente est The renounciation of queen Elizabeth of Hungary. Fille du roi André II de Hongrie, née en 1207, elle est fiancée à quatre ans au fils du margrave Hermann de Thuringe, qu'elle épouse à quatorze ans. Convertie à l'idéal de vie de saint François d'Assise, elle se voue aux pauvres malades et aux lépreux qu'elle soigne. Veuve à vingt ans, elle se retire à Marburg, en Hesse, mène une vie toute d'austérité et meurt en 1231, tertiaire de saint François. On la voit ici à 20 ans, renonçant à sa condition de reine.

Dante Gabriel Rossetti

Fils d'un poète italien émigré à Londres, Rossetti montre très tôt un grand intérêt pour la littérature et l'art médiéval italien. Aspirant à devenir poète, comme la plupart des membres de sa famille, il devient finalement l'élève du peintre Ford Madox Brown (peintre qui sera rattaché au mouvement préraphaélite sans jamais toutefois y avoir adhéré) avec qui il tisse des liens d'amitié étroits qu'il entretiendra toute sa vie. Son romantisme et son refus du monde qui l'entoure précipitent sa séparation d'avec le mouvement préraphaélite, bien qu'il en fut l'artiste le plus important. Puis, une succession d'événements vont le plonger dans une profonde dépression. En 1862, son épouse, Elizabeth Siddal (celle qui avait posé pour John Everett Millais dans Ophelia), meurt d'une overdose de laudanum, après avoir donné naissance à un enfant mort-né. Plus tard, il aura une liaison avec son modèle le plus emblématique : Jane Morris Burden.

J'en profite pour présenter l'un des tableaux les plus connus de Rossetti : Proserpine. Jane Morris Burden (la femme du peintre William Morris) prend donc le rôle de la reine des Enfers. Pluton, le roi des Enfers s'ennuyait dans son royaume. Comment trouver une reine alors que son monde était si peu attirant ? Il décide un jour de sortir au dehors afin de trouver une reine. Il voit alors Déméter, la déesse des moissons ainsi que sa fille Proserpine. Devant la grande beauté de cette dernière, le dieu tombe immédiatement amoureux et, profitant d'un moment d'inattention de la mère, il enlève la fille. Proserpine est alors placée dans une chambre, seule avec une coupe de fruit pour seule décoration. La jeune déesse, affolée, désespérée attend, attend. Personne ne vient, sa mère ne sait où elle se trouve... Bientôt affamée, elle prend une grenade dans la coupe de fruits et en croque un tout petit bout afin de se désaltérer. La condition pour vivre aux Enfers est d'absorber un aliment qui leur appartient. Par le geste qu'elle venait d'avoir, la jeune femme venait de s'unir au royaume de Pluton. Rossetti par son tableau représente le geste fatal de la jeune déesse signant à tout jamais son union avec le roi des Enfers.

Pour plus d'informations : Je vous suggère d'aller sur ce très bon site anglophone : http://www.artrenewal.org/asp/database/contents.asp (il suffit de demander l'artiste de son choix, et l'on peut aussitôt accéder à une gallerie de ses plus belles toiles.) Concernant le préraphaélisme, je vous conseille de vous rendre sur l'excellente encyclopédie en ligne Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9rapha%C3%A9lisme.

Basileus.

Comments

[Basileus]

Pendant que j'y pense, alors que je regardais ton poste, ça me fait me souvenir de la manière dont a été réalisé "Ophélie". Vous vous rendez bien compte que la pauvre Elizabeth Siddal n'a pas posé dans un fleuve pendant des jours et des jours pour les beaux yeux du peintre... En fait, il l'a faite poser dans sa baignoire : ça ne l'a pas empêchée d'attraper la crêve... C'est pas facile, la vie... XD

[Tomoé]

Le tableau représentant Ophélie est tout simplement superbe!